Réflexions d'un philistin

Will Anders

C'est à la recherche d'un local chauffé que Will Anders est entré pour la première fois dans le centre de l'ETH l'hiver dernier. Malheureusement, le foyer n'était pas aussi chaud qu'il l'avait imaginé. Il est néanmoins resté, n'ayant rien de mieux à faire. A l'origine vendeur de tabac à temps partiel, Anders s'est brièvement essayé au r?le d'éducateur de petits animaux à la fin du 20e siècle, après une carrière de mime de rue interrompue prématurément. Depuis deux décennies, il est à la recherche d'un nouveau défi. Mandaté par l'initiative Critical Thinking, Anders observe l'ETH Zurich sous tous les angles et fait régulièrement part de ses observations, formulant rarement des idées particulièrement abouties.

# 11 :
L'Ancien Testament alimente le progrès et donc le déclin. Amen.

"Le septième jour, tu te reposeras", dit la Bible. Et ajoute, dans certaines traductions, que cela doit également s'appliquer au b?uf et à l'?ne ainsi qu'au fils de l'esclave domestique (l'esclave elle-même n'est pas mentionnée). L'Université de Zurich a été dirigée par des théologiens pendant de nombreuses années depuis sa fondation, c'était une tradition. En revanche, la théologie a toujours été étrangère à l'ETH voisine. Dieu n'avait pas sa place dans les sciences naturelles.
Il n'est donc pas étonnant que le groupe Valora ait installé un magasin d'alimentation automatisé non pas dans le Irchelpark souillé par le zwinglianisme, mais sur le campus du H?nggerberg. Car on ne s'y repose pas, sauf pour le personnel de la petite filiale Coop.
Avec le magasin automatisé, le rêve de toute entreprise de commerce de détail est devenu réalité : générer du chiffre d'affaires indépendamment des lois gênantes qui protègent les employés. 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
Le fait que cela ne soit possible qu'avec des machines, et non avec du personnel de vente humain, est d? à l'interdiction de travailler le dimanche. Même si celle-ci a été assouplie depuis longtemps. Les trams et les trains, les avions, la police et les pompiers, les boulangeries - leur personnel travaille même lorsque Dieu l'a personnellement interdit. Il en va de même pour les employés des magasins dans les gares et les aéroports, dans les centres touristiques, ainsi que pour divers restaurants de toute catégorie et - surtout - pour les pasteurs qui, à cet égard, prêchent l'eau et se gargarisent de vin de messe.
Le plus haut tribunal suisse de Lausanne se penche régulièrement sur la question de savoir quand, où et quoi peut être vendu le dimanche. Parfois jusque dans les détails, par exemple pour savoir si les bas pour femmes, les couches, les lotions pour le corps et les piles sont des articles dont les voyageurs ont un besoin urgent ou moins urgent. L'accent n'est pas mis sur les urgences individuelles, mais sur les besoins collectifs.
Il ne fait aucun doute que les jeunes universitaires se sentent parfois obligés d'allumer leur ordinateur portable le dimanche. Le fait que, face à cette nécessité ressentie, la préparation de l'incontournable r?ti du dimanche en souffre, fait na?tre un dilemme : Parce que le travail dominical non réglementé est une réalité, il entre en conflit avec le travail réglementé, lui aussi bien réel. C'est-à-dire lorsque l'étudiante en master bricole dans son laboratoire et que son estomac gronde si fort que les molécules tremblent dans la bo?te de Pétri (et faussent ainsi les résultats de l'expérience).
Mais tout cela n'est pas un problème. Les grands distributeurs ont déjà montré que nous, les consommateurs, sommes capables de nous servir nous-mêmes aux caisses des supermarchés. Il n'y a donc qu'un petit pas à franchir pour que le reste du personnel soit également supprimé.
Profitons donc de notre autonomie retrouvée jusqu'à ce que l'automatisation fasse dispara?tre nos emplois et que nous ne puissions même plus aller nettoyer les toilettes, car ils le feront tout de suite eux-mêmes.
Notre seul espoir repose sur les éthiciennes algorithmiques, un métier d'avenir qui n'a pas encore été inventé. Si elles définissent que les lois du travail s'appliquent également à l'intelligence non humaine, les robots devraient eux aussi avoir leur propre sabbat. Et lorsque les automates se reposeront le septième jour, nous, les humains, pourrons nous remettre au travail.

 

#10 :
L'antimatière à l'intelligence

Celui qui parvient à étudier ou même à enseigner dans l'une des meilleures hautes écoles du monde doit obligatoirement être plus intelligent que la majorité de son espèce. Même si l'on fait abstraction de tous les autres facteurs tels que le statut social qua nt la naissance, la chance, le travail et ainsi de suite, l'intelligence doit satisfaire à un niveau minimum, et ce niveau est obligatoirement élevé.
Mais qu'est-ce que l'intelligence ? Le dictionnaire la définit comme la capacité de penser de manière abstraite et raisonnable et d'en déduire une action appropriée. Un coup d'?il sur l'expérience moyenne d'un individu moyen permet toutefois de douter de l'applicabilité de cette définition. Les personnes dont on dit qu'elles sont très intelligentes ne marquent pas toujours des points dans la catégorie de la raison. Et tout ce que les personnes très intelligentes font toute la journée n'est pas forcément utile. Il s'agit donc d'une image idéale à laquelle les personnes intelligentes ne répondent souvent pas, même s'il est prouvé - c'est-à-dire exprimé en chiffres - qu'elles possèdent une intelligence élevée.
Mais la question suivante se pose : qu'est-ce que la bêtise ? La réponse la plus simple est : l'absence d'intelligence. Ce n'est toutefois pas une explication satisfaisante. Car l'intelligence peut être élevée, moyenne ou faible. Même lorsqu'elle est particulièrement basse, elle est toujours présente. En d'autres termes, même une personne stupide possède une certaine intelligence, même si elle est si faible que l'on a envie de se détourner d'elle, gêné. Cela signifie que si l'intelligence ne peut pas ne pas être là, elle doit pouvoir coexister avec la stupidité.
Cela expliquerait au moins pourquoi même des personnes très intelligentes peuvent commettre de grosses bêtises. Une telle personne ne peut pas se défendre en présentant simplement son QI et en prouvant ainsi qu'il est impossible qu'elle soit stupide, c'est-à-dire que son action n'est pas l'expression de la stupidité.
C'est pourquoi nous sommes condamnés, même en tant que personnes (je nous le suppose globalement) plus intelligentes que la moyenne, à trouver humblement un moyen de gérer notre propre stupidité. Ce n'est que si nous la comprenons comme quelque chose d'intégral et que nous sommes pleinement conscients de notre faiblesse (aussi) que nous pourrons peut-être satisfaire un peu à l'exigence d'intelligence. Et - justement - d'agir de manière appropriée, raisonnable.
En sachant que nous ne pourrons probablement jamais être aussi intelligents que l'homme le plus intelligent de la planète. Mais que nous avons à tout moment le potentiel de remporter le prix de l'individu le plus stupide.

#9 :
La larme presque ignorée d'une figure oubliée

L'après-midi du 28 mars de cette année, il s'est produit sur la fa?ade nord du b?timent principal de l'ETH un événement qui laissera encore longtemps la science perplexe. Des passants ont observé comment une larme roulait de l'?il d'un personnage peint sur le mur.
Jusqu'à présent, de tels processus ne sont connus que des statues de la Vierge Marie dans les lieux de pèlerinage. Occasionnellement, il s'agissait de lieux qui ne sont devenus des lieux de pèlerinage qu'après la découverte d'une larme de Marie. Il s'agissait donc probablement de cas isolés de marketing religieux.
Ce n'est pas le cas de la fa?ade nord de l'ETH. Le personnage en pleurs était "Artes", la personnification des arts, qui, avec sa collègue "Scientiae", est la co-ma?tresse de la haute école polytechnique. Elles ont été peintes dans l'intention que toutes deux soient au mieux de leur forme dans cet institut.
La raison de la larme d'Artes se trouve probablement dans les événements qui se sont déroulés simultanément à quelques kilomètres de là, de l'autre c?té de la Limmat et de la Sihl. Dans un b?timent en ruine rafistolé, appelé "Zeugh?user", qui fait partie d'un ensemble de casernes en mauvais état. C'est là que la Critical Thinking Initiative avait convié le "marché".
Il n'est pas possible de dire avec certitude si le liquide qui coulait de l'?il d'Artes était une larme de joie ou de tristesse. (La teneur en sel n'a pas non plus été déterminée.) En faveur de la larme de joie, il y a le fait que cet après-midi-là, quelques projets ont été présentés, qui donnent des raisons d'espérer. L'espoir que les cha?nes du conformisme, du toujours pareil, du "on a déjà fait ?a avant" soient tout de même brisées ici et là.
Certains contenus transmis parlent en faveur de la larme de joie : Des étudiantes qui produisent des films au lieu de papier. Ou qui ne rédigent pas leurs travaux écrits pour le tiroir, mais produisent une série de livres. Et qui apprennent à écrire de manière à ce que quelqu'un lise le résultat même s'il ou elle n'y est pas obligé.
Celui qui ne découvre pas la curiosité en lui ne saura jamais si le yoga du matin procure un sentiment de bonheur et quelle est la différence avec le yoga du soir. Ou ce que nous pouvons apprendre de la vie sociale du grand dauphin de l'Indo-Pacifique. Si l'on ne pense qu'aux machines toute la journée, il se peut que l'on finisse par oublier que l'on est en fait un être humain.
Il n'y a pas de questions importantes ou non. Tout est lié, tout est imbriqué. Artes et Scientiae le savent. Mais peuvent-ils le faire savoir ?
D'où le soup?on qu'il s'agissait tout de même d'une larme de tristesse. Car il y avait bien plus de chaises que de personnes à la manifestation. Est-ce la raison pour laquelle Artes a pleuré ?
C'est une plante fragile, cette pensée critique. Et une épine dans le pied de tout système de domination. Celui qui remet en question prend toujours un risque. L'ETH est-elle peut-être devenue trop un système de domination, pourrait-on demander en tant que personne extérieure ?
Nous avons tous notre temps sur cette planète. On peut le considérer comme un cadeau. Ou comme un fardeau. Ou comme un hasard. Il a un début et une fin. A la fin de la vie, sera-t-on confronté à un créateur, comme les statues pleurnichardes de la Vierge Marie voudraient nous le faire croire ? Ou à un des Artes et à un des Scientiae ? Ou au néant ?
Est-ce que nous nous demandons à la fin, sur notre lit de mort, tout ce que nous avons accompli ? Ou ce que nous avons manqué ? Il est presque certain que personne ne s'interrogera sur le nombre de points ECTS que nous avons accumulés au cours de notre vie.
Mais la question pourrait bien surgir : Homme, étais-tu un homme ?
Et comme cette conclusion est beaucoup trop poétique, voici encore une remarque : l'ETH compte deux millions d'insectes dans sa collection entomologique. Maintenant que les animaux sont également admis comme aliments, un doctorant affamé pourrait tout de même vivre 91 ans en consommant en moyenne 60 insectes par jour.

#8 :
La jeunesse doit être écoutée, pas punie

Ces dernières semaines, des jeunes sont descendus dans la rue dans différentes villes suisses. Ils se sont également rassemblés sur la terrasse de la Polyterrasse. Ils y ont protesté pour la protection du climat.
Le mouvement est qualifié de "grève du climat". L'opinion publique a réagi différemment à la relève contestataire : ils se révoltent toujours, ont trouvé les uns. Super, ils ont compris, contrairement à nous les adultes, ont dit les autres. Quelque part entre les deux, on trouve Monsieur et Madame Moyenne avec leur attitude : oui, ils ont raison, il faudrait probablement commencer à faire quelque chose. Nous aussi, nous sommes contre ces canons à neige artificiels qui consomment beaucoup d'énergie, c'est pourquoi nous préférons partir en Tha?lande pendant les vacances de sport.
En amont des manifestations pour le climat, les médias ne se sont pas focalisés sur les préoccupations des jeunes et leur problème de grandir sur une planète qui se meurt. Mais sur le fait que les manifestants séchaient les cours dans leurs écoles. Le canton de Saint-Gall a fait savoir qu'il était sans pitié. Ceux qui protestent seront punis. Ailleurs, on s'est montré plus libéral : les élèves ont un contingent de demi-journées libres qu'elles peuvent utiliser pour manifester si elles n'ont rien de mieux à faire. Les directions d'écoles zurichoises ont fait savoir que, pour des raisons d'équité, elles discutaient de sanctions uniformes pour tous. Et après coup, une école de Suisse romande a attribué la plus mauvaise note à tous les élèves qui avaient manqué un examen à cause de la protestation.
Retenons que les jeunes descendent dans la rue pour manifester contre notre manière de traiter l'environnement. Ils ont tout à fait le droit de le faire. Après tout, ils vivront environ trois décennies de plus que moi, par exemple. Et environ un demi-siècle de plus que de nombreux membres des gouvernements et des parlements. Les jeunes défendent pacifiquement les bases de leur vie future. Mais les autres préfèrent parler de la meilleure fa?on de les punir pour cela.
D'où vient donc l'amour de l'homme pour les punitions ? Kurt Tucholsky a un jour inventé une histoire fragmentaire dans la "Weltbühne" : la réintroduction de la fessée par le Reichstag à l'époque de la République de Weimar. En bref : l'idée est lancée dans l'espace. Dans un premier temps, la gauche et les démocrates se disent horrifiés. Suivent des chants de louange des traditionalistes sur l'utilité des ch?timents corporels. Le centre bascule, on discute maintenant du nombre de coups et de la nature des matraques. L'association des fabricants de b?tons fait du lobbying. Finalement, les sociaux-démocrates se taisent pour se démarquer des communistes et la loi passe à la Chambre du peuple sous les applaudissements. Des années plus tard, on reprochera toutefois aux masochistes de provoquer des sanctions abusives pour bénéficier de coups de b?ton gratuits.
Le parlementarisme, tel que Tucholskys le caricature, produit rarement de grands coups. Même quatre-vingt-dix ans plus tard, nous préférons parler de la manière dont il faut remettre à leur place les élèves rebelles. Au lieu de parler de la manière dont leurs préoccupations légitimes, à savoir empêcher la destruction des bases de la vie future de l'homme, sont diluées sur la ligne d'assemblage de la législation.
En même temps, nous nous imaginons que les générations suivantes reviendront à la raison. Comme l'ont déjà fait les opposants au droit de vote des femmes, les gardiens de la morale sexuelle ou les défenseurs de l'esclavage. L'histoire a donné raison à l'autre camp.
Mais peut-être sont-ils déjà revenus à la raison. Et sont donc descendus dans la rue pour défendre notre climat. Et si on les punit pour cela, ils risquent de perdre l'habitude d'être raisonnables. Et la pensée critique.

# 7 :
Darwin en p?tisserie

L'un des objets les plus étonnants de l'ETH ne se trouve pas dans une collection, mais au comptoir du café dans le b?timent principal. Il s'agit d'un biscuit sucré suisse, le Carac. Il s'agit d'une coque de p?te brisée fourrée de chocolat crémeux et recouverte d'un gla?age. Généralement, un point de chocolat au centre suggère discrètement la garniture. Mais il existe aussi des exemplaires sans ce point.
Si l'on regarde un carac d'en haut, on voit un fin bord de p?te brisée circulaire, un gla?age et un point rond de couleur chocolat au centre de ce gla?age. Le carac peut donc être reflété sur n'importe quel axe central ainsi qu'au centre du cercle. Il n'a ni début ni fin, comme s'il était éternel.
Cette symétrie flagrante de l'objet est soulignée par son nom. Ainsi, le mot Carac est un palindrome, on peut le lire aussi bien dans le sens latin que dans le sens hébreu - une chose relativement rare dans la langue fran?aise. Les palindromes plus longs les plus célèbres sont le nom de lieu bavarois Burggrub, largement inconnu, et l'?ne de lecture. Nous attendons en vain depuis de nombreuses années l'apparition de cette dernière espèce, même si un certain Till Eulenspiegel affirmait fermement en avoir connu un exemplaire. (On peut douter du sérieux de cette source).
Ce qui est remarquable dans le carac, c'est la couleur de son émail. Alors que la garniture est brun foncé - une ganache de chocolat et de crème -, le gla?age est vert poison. Ce vert n'a toutefois aucune signification. Il ne renvoie ni à la menthe ni à une autre saveur associée à la couleur verte. C'est tout simple.
Mais pourquoi donc ? Et pourquoi le Carac a-t-il survécu, voire étendu son territoire, en immigrant depuis longtemps en Suisse alémanique ?
L'explication à cette question doit obligatoirement être recherchée dans la théorie de Charles Darwin sur la survie de l'espèce la mieux adaptée. Le carac, probablement apparu pour la première fois dans les années 1920 en Suisse romande, doit son triomphe silencieux en premier lieu à sa simplicité. Le grand public ne veut pas d'extravagance. Les produits à succès séduisent par le choix de quelques ingrédients qui marquent le go?t. Deuxièmement, c'est le caractère remarquable du carac qui le fait ressortir sur l'étalage. Sa couleur verte n'est concurrencée que par la tourte suédoise, mais de manière assez grossière. Cette chose à plusieurs couches, graisseuse, dont la masse de biscuit sec est maintenue tant bien que mal par de la p?te d'amande aplatie, ne peut en aucun cas rivaliser avec la simple élégance et la solidité d'un carac.
Troisièmement, c'est l'intemporalité du carac qui en fait un evergreen proverbial au comptoir. C'est dans le Bauhaus que l'on peut le mieux le situer visuellement. Et ce dernier ne se démode jamais, contrairement à l'espièglerie ennuyeuse de l'Art nouveau, auquel appartient par exemple l'Eclair, avec ses lignes courbes.
Quatrièmement, il faut saluer la durabilité du carac. Alors que les tartes aux fraises, même recouvertes d'une couche d'aspic, virent à l'indigestion en quelques heures, le carac se conserve sans problème pendant quelques jours. On ne peut pas dire qu'un carac date de la veille, ce qui augmente sa rentabilité pour le vendeur. Toutefois, compte tenu de la teneur élevée en crème, il ne faut pas en abuser.
Cinquièmement, le carac est un produit relativement bon marché. Il y a quelques années, l'auteur de ces lignes a acheté un carac dans une petite boulangerie de la vieille ville de Berne pour pas moins de 1,60 franc. Et même la confiserie Sprüngli, basée à Zurich et notoirement trop chère, vend ses caracs pour la modique somme de 3,50 francs.

# 6 :
On ne s'échauffe pas vraiment avec les faits

Nous vivons une époque passionnante. Plus une vérité est répétée, plus elle risque d'être considérée comme fake news de finir sur le b?cher des opinions dépassées. Prenons le proverbial elephant in the room,Le réchauffement climatique. Il a de nouveau fait parler de lui cet été, car les gens ont transpiré. Et ce, là où ils ne transpirent normalement pas. Donc pas seulement sous les aisselles et entre les fesses, mais aussi au bureau et à la maison.
Alors que l'Europe centrale suinte par toutes les fissures, on ne comprend pas, avec la meilleure volonté du monde, pourquoi on parle de climat chaud dans les country clubs du sud de la Floride. Il y règne toujours une température agréable de moins dix degrés. Et pendant que ces messieurs piochent dans leurs coquilles de homard, ils dénient aux glaciers polaires la propriété de fondre. De toute fa?on, la science est presque aussi mauvaise que le journalisme, tout n'est que mensonge. Nous en prenons un autre.
Eh bien, nous savons sur la base de nombreuses comparaisons de chiffres : En général, la performance économique d'un pays diminue lorsque la température moyenne augmente. En même temps, la corruption augmente, plus il fait chaud, plus il y a de corruption. bakshish, comme nous autres Arabes disons. Si la chaleur continue à ce rythme, la situation à Zurich ressemblera bient?t à celle de la Sicile. Mais tout cela n'est pas vrai. Car si les habitants des pays chauds étaient vraiment plus paresseux, Singapour, la ville-?tat équatoriale, devrait avoir quelques-unes des pires universités du monde. Et pas deux dans le top 20.
Mais on ne peut pas totalement écarter les faits : Un quelconque psychologue du travail a déclaré il y a douze ans à un journal allemand que le rendement au travail diminuait de 30 % lorsqu'un employé travaillait à 30 degrés Celsius au lieu de 23. C'est grave dans les deux sens du terme, car d'une part, personne n'a jamais vérifié la véracité de cette affirmation, et d'autre part, elle est toujours citée depuis lors, lorsque le creux de l'été co?ncide avec les journées de chien. Mais qu'elle soit vraie ou non n'est pas si important. En effet, une étude de l'Université de l'Est de Londres a prouvé que la productivité, qui avait baissé de 30 pour cent à cause de la chaleur, augmentait à nouveau de 14 pour cent si l'on buvait suffisamment. Là aussi, nous en prenons un autre.
Tout n'est pas si grave avec le réchauffement climatique. D'ailleurs, ce n'est pas seulement le climat en soi qui est important pour les performances d'un travailleur. C'est le climat de travail qui compte. Et celui-ci se réchauffe justement de manière diamétralement opposée au frottement physique du supérieur hiérarchique contre ses collaborateurs. Un phénomène qui n'a d'ailleurs pas encore été étudié jusqu'au bout.

# 5 :
Des études montrent que : Les gloses n'ont pas toujours raison

Selon l'étude d'une chercheuse de l'université de Vienne, les hommes qui ont de la musique complexe sur leur playlist iTunes semblent plus attirants pour les femmes. C'est d'autant plus remarquable que l'on a appris récemment que les femmes préfèrent la musique de compositeurs de morceaux complexes pendant les jours fertiles de leur cycle de reproduction, alors qu'elles préfèrent se taper des mecs avec de la musique idiote sur leur téléphone portable lors de leurs aventures d'un soir. Une autre étude a pu démontrer que, de toutes les parties du corps de l'homme, les femmes accordent généralement le plus de poids à l'attrait du torse.

Ces connaissances sont à peu près aussi précieuses que l'hypothèse du film "?dipussi" de Loriot, selon laquelle son client, Monsieur Melzer, pourrait éventuellement tuer son épouse sur un canapé violet, à moins que le canapé ne soit fleuri.

Presque chaque jour, la science inutile s'égoutte sur nous, l'humanité, via les journaux gratuits. C'est exaspérant. Mais des études prouvent que les journaux gratuits sont surtout appréciés parce qu'ils sont gratuits. Cela sert à son tour de preuve de l'homo economicus, au sujet duquel il existe d'ailleurs diverses études qui nient son existence.

C'est la noble mission de la science que d'expliquer à la société ce qu'elle fait toute la journée. Seulement, les bons exemples issus de la recherche ne se retrouvent pas toujours dans la bouillie médiatique. La politique, bras armé des journaux gratuits, cite allègrement toutes sortes d'études réelles ou inventées. Si les parlementaires devaient nourrir un enfant en Afrique à chaque fois qu'ils citent une étude quelconque, le problème de la faim dans le monde serait résolu depuis longtemps. C'est ce qu'a révélé une étude récente.

Depuis que les publications scientifiques de qualité inférieure poussent comme l'ail des ours au printemps, rien ne semble pouvoir les arrêter. N'importe quel travail de bachelor, aussi stupide soit-il, parvient peut-être, sous la forme d'un article d'une colonne, à réjouir les esprits des homini oeconomici en train de conduire.

Des études ont montré que les gens lisent moins les journaux gratuits lorsqu'ils se rendent au travail en voiture. Je suis favorable à ce que l'on investisse davantage d'argent dans la construction de routes et de parkings. Des études montrent que cela stimule aussi l'économie.

# 4 : Le robot qui prend ma place

Il ne se passe pas une semaine sans que l'on puisse lire dans le vieux papier que les robots vont tous nous remplacer. Il existe même aujourd'hui des chiffres très précis à ce sujet. Chaque machine qui prend en charge un processus de travail quelconque met à la rue tant de collaborateurs. Des chercheurs brillants travaillent sans rel?che au développement de l'intelligence artificielle, tandis que le reste de l'humanité pratique la stupidité réelle. C'est du moins l'impression que l'on a en lisant dans les journaux non seulement les pages consacrées à la science, mais aussi à la politique mondiale.

Dans un avenir proche, des instituts comme l'ETH seront confrontés à des actions collectives de la part des syndicats. En effet, lorsque le mouvement ouvrier remarquera que le mouvement robotique n'a pas commencé à exister par hasard, mais qu'il a été développé de manière ciblée. Cela va co?ter cher. En fin de compte, les ETH, MIT, etc. seront obligés par la justice de financer un revenu de base inconditionnel pour le reste de l'humanité devenu superflu. Pour réunir ces sommes colossales, l'ETH développera à l'avenir d'énormes séries de robots plongeurs. Ceux-ci deviendront à leur tour un jour des robots millionnaires. Et nous aurons alors la salade.

J'ai toutefois un ou deux doutes quant à savoir si tout se passera exactement comme cela. Car le problème me semble être que la plupart des robots sont encore très bêtes. Ils sont assez limités dans leurs capacités.

En d'autres termes, il existe actuellement une génération de robots qui a en fait remplacé depuis longtemps les gens comme moi. C'est-à-dire des gens qui sont pour la plupart sans talent, moins intelligents et, de surcro?t, paresseux. Nous, c'est-à-dire ces personnes, aurions d? céder depuis longtemps notre place dans la société à ces stupides machines.

Mais l'éviction n'a pas eu lieu, bien que nous ayons nettement plus de besoins que nos collègues automatisés pour un rendement tout aussi faible. Il n'y a pas d'émissions de télé-réalité où les robots se sautent à la gorge. Pas de robots punks qui peuplent le coin de la gare centrale avec leurs chiens-robots. Et pas de robots qui consomment des magazines de société stupides avec des légendes émotionnelles dans les salons de coiffure.

Il y a quelques jours, un tel appareil se serait assis dans le bureau des gens de Critical Thinking et aurait posé sa candidature comme nouveau chroniqueur. Je ne suis pas tout à fait détendu sur cette question.

# 3 : Qui part ?

J'aurais aimé discuter avec Nadezda la jeune étudiante russe. Mais je suis arrivé trop tard. Presque 150 ans trop tard, car Nadezda s'est inscrite à l'ETH en 1870. Elle fut la première étudiante, c'est-à-dire la première personne de sexe féminin, à étudier à l'ETH. Elle n'a apparemment pas obtenu de dipl?me d'ingénieur, du moins pas dans cette école. Je considère qu'il est très probable que depuis le début des études de Nadezda, aucune femme n'ait jamais terminé ses études à l'ETH. Pour étayer ma thèse, je cite un cahier qui m'est récemment tombé entre les mains. Il porte le titre joyeux de "Journal de l'emploi". En dessous, il est écrit : "Bulletin d'emploi exclusivement destiné aux dipl?més de l'ETH". Mis à part le fait que j'éprouve le besoin de mettre un trait d'union entre l'abréviation "ETH" et le mot "Abg?nger" avec mon stylo - où sont les "Abg?nger" ?Intérieur? Ils sont partis avant de pouvoir vraiment partir, comme Nadezda ?

En 2015, les femmes représentaient tout de même un tiers des nouveaux étudiants. Il n'est tout de même pas possible qu'elles se marient toutes et tombent enceintes avant de pouvoir obtenir leur Bachelor et leur Master ?

Cependant, je fais probablement du tort à l'école. Le cahier en question n'a pas été distribué directement par elle, mais par son association d'anciens élèves. Et contrairement à l'ETH qui, en tant qu'entreprise fédérale, doit, ou devrait, respecter le guide de formulation non sexiste élaboré par la Chancellerie fédérale suisse, les Alumni, en tant qu'association privée, peuvent naturellement négliger autant de femmes qu'ils le souhaitent. En fin de compte, cet état de fait n'est jusqu'à présent pas sanctionné, c'est pourquoi il est déjà présomptueux de parler d'un état de fait. Il s'agit peut-être plut?t d'un péché par omission. Et les péchés ne sont plus punis par l'enfer, le Vatican a discrètement supprimé ce lieu, et ce avec effet rétroactif. Ceux qui allaient en enfer au Moyen-?ge étaient donc transférés post mortem et rétroactivement au purgatoire. Et c'est là, au purgatoire, du moins linguistique, que s'ébattent les alumni et alumnae, responsables de ces absurdités.

Quoi qu'il en soit de cette formulation, pour un groupe de personnes qui se considèrent, non sans raison, comme particulièrement intelligentes, c'est une grande bêtise de laisser la scène aux seuls sortants. Les sortantes ne souhaitent certainement pas non plus faire carrière à contrec?ur. Même si elles ne sont pas très nombreuses. Et même si elles sont de temps en temps empêchées de suivre une carrière linéaire par des pauses maternité et autres. Et même si, à part quelques professeures, une rectrice, diverses conseillères fédérales, présidentes et premières ministres d'autres pays, elles n'ont pas autant de modèles que leurs collègues masculins. Peut-être qu'elles aussi seront un jour visibles en tant que sortantes, par exemple sur la couverture de l'un des prochains numéros de ce magazine.

D'ailleurs, une femme fait tout de même son apparition. En page 2, sur une photo qui illustre une annonce d'une entreprise appelée "Open Systems". La femme sur la photo ne porte ni chaussures ni chaussettes, un pantalon de coton blanc décontracté, une chemise qui flatte ses contours. Et elle coiffe lascivement ses longs cheveux blonds. Elle est assise sur un canapé d'extérieur, posé sur une terrasse de toit. En dessous, on peut lire "Mission Control Security Services dans le domaine de la sécurité informatique". Et une fois de plus, on a envie de distribuer généreusement des traits d'union. Il est probable que la jeune femme s'apprête à se faire une queue de cheval pour des raisons de sécurité informatique, voilà à quoi cela ressemble.

# 2 : A propos de voies peu empruntées et des chances et risques qui y sont liés.

L'autre jour, j'étais assis sur la terrasse devant le b?timent principal de l'ETH et, contre ma propre volonté, je récitais mentalement un poème. Je l'avais lu un peu trop souvent. C'est pourquoi il s'est accroché à ma tête et s'est présenté sur la scène éclairée de mes pensées à toutes les heures possibles.

La poésie a perdu de son importance. Autrefois, ils étaient capables d'enflammer les c?urs et de déclencher des guerres. Aujourd'hui, je ne connais personne qui télécharge sur son e-reader des recueils de poésie récemment publiés sur Amazon. Peut-être que tous les bons poèmes ont déjà été écrits ? La source de la poésie s'est tarie ? Ou alors c'est de l'économie pure. Le désintérêt du consommateur a fait dispara?tre un marché.

Les personnes intéressées par les sciences naturelles semblent souvent considérer le langage comme un outil, dans le meilleur des cas. Comme un outil qui crée de la précision, mais certainement pas de la beauté. On raccroche le langage quand on en a fini avec lui. Mais faire de la poésie avec ? Iwo.

Pourtant, aucune autre forme de littérature n'est aussi marquée par le formalisme que la poésie. Elle suit traditionnellement des règles métriques, mise sur des allitérations et des modèles de rimes, ses lignes prennent une existence physique, en paragraphes, dont certains - en raison de la mesure des vers - sont en retrait. Derrière de nombreux poèmes se cache une structure complexe, ils suivent dur comme fer certaines règles auxquelles ils se sont eux-mêmes soumis. Ce fait ne devrait-il pas rendre la poésie intéressante pour les mathématiciens ?

Outre la forme, qui fait partie de leur attrait, c'est bien s?r le contenu qui les intéresse. Certaines poésies ne se révèlent pas d'emblée à la lectrice - voire jamais. D'autres, même les personnes notoirement désintéressées les comprennent du premier coup. Et cela va droit au c?ur.

Le poème qui s'est récité à moi-même est de l'américain Robert Frost. Je me sens particulièrement proche de lui, peut-être parce qu'il a le même anniversaire que moi. Simplement un siècle plus t?t. Frost est en quelque sorte le peintre paysagiste de la poésie américaine du 20e siècle. Dans "The Road Not Taken" - ce même texte qui ne veut pas sortir de ma tête - il décrit une randonnée dans la forêt. A une bifurcation, le randonneur doit choisir entre deux routes. Il remarque d'abord qu'en tant que voyageur, il ne peut pas prendre deux routes à la fois. Il constate ainsi quasiment l'indivisibilité de la quantité "un homme". Ensuite, il évalue laquelle des deux routes il doit emprunter, en se rendant compte qu'elles ne sont pas très différentes l'une de l'autre. Il est intéressant de constater qu'à aucun moment n'appara?t dans ses pensées un but qu'il cherche à atteindre. Le randonneur se décide finalement pour un chemin et ne résume qu'après un certain temps qu'il s'agissait de la route la moins fréquentée. Cette circonstance, à savoir qu'il a pris le chemin que moins de gens avaient emprunté avant lui, a justement fait la différence ("this has made all the difference").

Nous sommes enclins à être entièrement d'accord avec Robert Frost. Ce n'est pas ce que tout le monde fait qui mène à quelque chose de nouveau. Seul celui qui ose emprunter une autre voie que tous ceux qui l'ont précédé sera peut-être récompensé de son courage. Excellente constatation. Et tellement vrai.

Nous oublions toutefois que les routes du poème de Frost ne sont pas très différentes les unes des autres. La conviction d'avoir choisi la route la moins fréquentée ne se forme dans l'esprit du voyageur qu'après qu'il a pris sa décision. Il a ainsi tenté de rationaliser a posteriori une décision prise dans ses tripes. Et dans la foulée, il en a fait un moment du destin.

PS : Robert Frost aurait écrit ce poème comme une blague et une allusion à un ami randonneur qui n'arrivait jamais à se décider pour une direction à la croisée des chemins. Mais qu'est-ce qu'un auteur peut faire si ses lectrices prennent pour de grandes vérités les bêtises qu'il griffonne ?

PPS : Une fois, pendant la période du carnaval qu'il détestait, une de mes connaissances a décidé de ne pas prendre le chemin habituel à travers le Niederdorf, mais plut?t celui, moins fréquent, qui passe par Obere Z?une. C'est là qu'il s'est fait agresser par deux jeunes hommes.

# 1 : Le mythe

Sur les cinq portes qui mènent théoriquement à l'intérieur de la fa?ade semi-circulaire du b?timent principal de l'ETH, une seule est ouverte. C'est le seul endroit où le b?timent te dit que tu peux entrer. Le chemin est tracé. Pas de place pour le jeu, pour l'individualité. Le constructeur s'était probablement imaginé les choses autrement. Mais que comprenait-il des concepts d'exploitation et des périodes de chauffage ? Non, celui qui veut entrer par l'entrée principale doit choisir le milieu. Parfois, un homme en uniforme se tient même à c?té, comme s'il voulait s'assurer que personne ne tente vraiment une entrée alternative.

L'intérieur du b?timent correspond à la marque ETH. Aucune pompe n'accueille ici le visiteur. De la sobriété, de l'understatement. Un couloir gris, une station de café. Quelques chaises et tables où des personnes sont occupées à des choses extrêmement importantes. Le silence a un écho. Est-ce à cela que ressemble le foyer d'une des plus grandes écoles du monde ?

Attention : si vous continuez tout droit, vous traverserez l'intérieur du b?timent et atterrirez au bout de votre chemin sur la polyterrasse. Attention : si vous ne faites pas attention, vous serez vite dehors. Quel contraste avec l'université d'à c?té ! Celle-ci impose immédiatement un choix, à peine entré dans le b?timent. ? gauche ou à droite ? Monter ou descendre ? Ce n'est pas le cas de l'ETH. Ici, on peut facilement passer. Si l'on veut plus de cette école, semble-t-elle dire, il faut faire quelque chose pour cela.

ETH. L'objectif rêvé de tous les gymnasiens doués pour les mathématiques et les sciences naturelles. Et un repoussoir pour tous ceux qui ne sont pas tout à fait à l'aise avec les gymnasiens doués en mathématiques et en sciences naturelles. La République des Nuls. Mais aussi une école d'élite sur laquelle le monde entier a les yeux rivés. Et un lieu qui tamise impitoyablement et qui a déjà recraché plus d'un jeune scientifique soi-disant prometteur pour cause de résultats insuffisants.

Un dipl?me de l'ETH est la garantie d'un emploi bien rémunéré et d'une carrière avec des possibilités d'avancement. Sauf peut-être dans le cas des architectes, qui portent avec une fierté particulière la mention "ETH" dans leur titre - d'une part pour se démarquer de leurs collègues des hautes écoles spécialisées - d'autre part pour compenser leurs salaires dissuasifs et bas. Les pharmaciens gagnent un peu mieux leur vie, mais certains d'entre eux passent leurs journées debout dans le magasin, à vendre des crèmes de jour et des tisanes et à viser des ordonnances avec un air sérieux.

Ma mission : comprendre cette école et ses habitants. Et ne pas y échouer.

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