Ce qui fait transpirer l'Europe

Des situations anticycloniques stables peuvent entra?ner des vagues de chaleur en été, comme celle que conna?t la Suisse cette année. La responsabilité en incombe à ce que l'on appelle le "blocking", le blocage des zones de basse pression. Des météorologues de l'ETH Zurich fournissent désormais de nouvelles explications sur la formation des ?lots de blocage.

Vue agrandie : la situation anticyclonique stable en Europe le 1er juillet 2015 (image : Nasa Worldview).
La situation anticyclonique stable en Europe le 1er juillet 2015. (Image : Nasa Worldview)

En 2003, l'Europe a connu l'été du siècle, et nombreux sont ceux qui s'en souviennent cette année. Au milieu de cette vague de chaleur, la revue spécialisée "Nature Geoscience" publie une étude qui peut contribuer à expliquer de telles situations météorologiques extrêmes. Depuis près de deux ans, une équipe de chercheurs de l'ETH a analysé des données climatiques provenant du monde entier afin de comprendre l'origine des zones de haute pression stables. On sait depuis longtemps que des zones de haute pression très stables dans la troposphère supérieure, c'est-à-dire à une altitude de 5 à 10 kilomètres, peuvent déclencher des vagues de chaleur en été. La recherche appelle ces situations anticycloniques particulières "blocage", car elles peuvent dévier les zones de basse pression à leur gauche et à leur droite et ainsi créer des "?lots de beau temps" en été. Ces ?les d'un diamètre d'environ 2000 kilomètres peuvent s'étendre sur une grande partie de l'Europe. Elles interrompent le courant d'ouest typique de l'Atlantique Nord, qui est normalement déterminant pour le temps de nos régions.

Transpiration inversée

Alors que les recherches menées jusqu'à présent pour expliquer le blocage se sont surtout concentrées sur la circulation des masses d'air au sein de la haute troposphère, le groupe de recherche Atmospheric Dynamics du professeur de l'ETH Heini Wernli propose désormais une nouvelle approche. "Nous montrons que l'ascension des masses d'air de la basse troposphère est également décisive pour la formation et le maintien de tels systèmes", explique Stephan Pfahl, scientifique du groupe de Wernli.

Le "chauffage latent" est important à cet égard : Des nuages se forment dans les masses d'air ascendantes, de la vapeur d'eau se condense et ce processus libère ce que l'on appelle de l'énergie latente. "C'est l'inverse de la transpiration, où l'eau s'évapore et où le corps est refroidi", explique Pfahl. Le réchauffement du paquet d'air qui en résulte peut conduire à une nouvelle ascension. Le chauffage latent fournit donc une partie du moteur de l'ascension des masses d'air.

Processus décalé dans le temps

En analysant les données météorologiques des 21 dernières années, les chercheurs de l'ETH ont maintenant découvert que dans les trois jours précédant l'arrivée des masses d'air dans la région de blocage, jusqu'à 45 pour cent des masses d'air ont été chauffées par ce processus, et même jusqu'à 70 pour cent la semaine précédente. Il suffit de se représenter l'évolution du temps pour s'en rendre compte : Des nuages ou des zones de mauvais temps se forment sur l'Atlantique - et quelques jours plus tard, les ?les se forment avec un temps ensoleillé sur l'Europe. "Le processus est donc toujours décalé dans le temps ; dans la semaine précédant le blocage, nettement plus de la moitié des masses d'air subissent ce processus de chauffage latent", explique le professeur de l'ETH Heini Wernli.

Wernli est spécialisé depuis 20 ans dans l'étude des zones de basse pression, pour lesquelles le chauffage latent a été reconnu depuis longtemps comme un processus essentiel. L'équipe de recherche s'intéresse au phénomène de blocage depuis une bonne dizaine d'années. "Au début, il y avait surtout la curiosité de savoir pourquoi le courant d'ouest changeait soudainement d'état", explique Wernli. Le présent travail a donc permis de combiner les connaissances issues de l'étude des zones de basse pression avec celles de la recherche sur le blocage.

Des millions de données analysées

Les chercheurs de l'ETH ont analysé un immense ensemble de données provenant de mesures au sol, de ballons, d'avions et de satellites du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme de Reading, en Grande-Bretagne. Il fournit toutes les six heures des données globales sur le vent, la température, la formation des nuages et l'humidité. A l'aide de calculs de trajectoires, Stephan Pfahl a étudié le mouvement des différents paquets d'air qui contribuent à la formation des régions de blocage. Plus de 100 millions de trajectoires ont été évaluées.

Les connaissances acquises aujourd'hui pourraient également être utiles pour d'autres thèmes de la recherche climatique. "En raison du réchauffement climatique, davantage d'humidité pénètre dans l'air. Cela libère plus de chaleur latente, ce qui pourrait également entra?ner un changement dans la fréquence des situations météorologiques de blocage", explique Pfahl. "Mais c'est encore très spéculatif, nous devons poursuivre nos recherches à ce sujet". Une application concrète de ces nouvelles connaissances est également envisageable pour les prévisions météorologiques : En effet, celle-ci rate souvent le moment de la formation ou de la désintégration du blocage, avec des conséquences importantes pour l'évolution du temps. Il faudrait donc voir dans quelle mesure le processus de chauffage latent est bien représenté dans les modèles météorologiques.

Le blocage provoque aussi des brouillards élevés

Le blocage ne se produit d'ailleurs pas seulement en été. En hiver, il donne lieu à des situations de haute neige froide, que nous connaissons bien sur le Plateau suisse, mais qui se produisent partout, de la plaine du P? au nord de l'Allemagne. "Donc toutes les situations météorologiques dont les gens se plaignent toujours", dit Wernli en riant : de la chaleur extrême au temps gris et froid de l'hiver.

Référence bibliographique

Pfahl S, Schwierz C, Croci-Maspoli M, Grams CM, Wernli H : Importance du dégagement de chaleur latente dans les courants ascendants pour le blocage atmosphérique. Nature Geoscience, 20 juillet 2015, doi : page externe10.1038/ngeo2487

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