De la musique à la physique quantique

Celeste Carruth voulait à l'origine devenir musicienne. Aujourd'hui, en tant que physicienne à l'ETH, elle développe une nouvelle technique de contr?le des ions. En tant que membre de la communauté des jeunes scientifiques du WEF, elle souhaite contribuer à ce que les profanes comprennent mieux la physique quantique.

Céleste Carrut
La physicienne quantique Celeste Carruth fait partie du cercle des Young Scientists du WEF de cette année. (Image : ETH Zurich / Stefan Weiss)

"J'ai été très heureuse d'être sélectionnée", explique Celeste Carruth dès le début de l'entretien. Mi-mai, la physicienne a appris qu'elle faisait partie du cercle des "WEF Young Scientists" de cette année, parmi tout juste 25 chercheurs et chercheuses dans le monde. Selon le jury, elle fait partie de ces scientifiques hors du commun qui s'engagent pour que les connaissances scientifiques d'un domaine d'avenir parviennent à la société.

Depuis 2008, le World Economic Forum WEF sélectionne chaque année environ deux douzaines de chercheurs de moins de 40 ans, qui doivent être impliqués dans le travail du WEF en tant que relève académique. Selon les indications du WEF, la mission des Young Scientists est de communiquer la recherche de pointe de manière compréhensible pour tous et de créer une communauté globale de leaders scientifiques qui s'engagent à collaborer sur des thèmes identifiés en commun.

Pas encore de voyage en Chine

En fait, Carruth aurait d? s'envoler fin mai pour la Chine afin d'y rencontrer les autres membres de sa classe d'?ge. Mais cette année, tout ne se passe pas non plus comme les années précédentes au WEF. C'est pourquoi la physicienne a d? se contenter pour l'instant d'un embarquement en ligne. "J'espère pouvoir rattraper le voyage", explique-t-elle. "Car les échanges personnels avec d'autres chercheurs sont très stimulants".

Cette année, elle a également d? réorganiser son travail scientifique à court terme. En tant que physicienne, elle n'avait plus le droit de se rendre au laboratoire du H?nggerberg, mais elle pouvait continuer à travailler sur la conception de l'expérience depuis chez elle. "Avec le temps, j'étais un peu fatiguée d'être toujours assise à la maison devant l'écran", se souvient-elle. Aujourd'hui, elle se réjouit de pouvoir à nouveau commencer la construction de l'expérience sur place.

Surmonter les inconvénients existants

En tant que postdoctorante, elle développe à l'ETH Zurich une nouvelle technique dans laquelle son mentor Jonathan Home, professeur d'optique quantique expérimentale et de photonique, place de grands espoirs. Dans le cadre d'un ERC Grant, il veut développer avec son équipe une nouvelle architecture pour des pièges de Penning microfabriqués bidimensionnels, afin de pouvoir mieux contr?ler les ions en tant qu'objets quantiques et surtout en plus grande quantité - une étape importante pour l'utilisation de tels ions dans un ordinateur quantique.

La plupart des expériences sur les ions piégés, qui portent sur l'information quantique, utilisent des pièges de Paul à haute fréquence pour contr?ler les ions. Cette technique est également utilisée dans le groupe de Home. Mais elle présente quelques inconvénients majeurs : Les ions ne peuvent être disposés qu'en ligne, ce qui limite le nombre d'objets quantiques. De plus, le champ électrique oscillant nécessaire pour capturer les objets chauffe les ions, ce qui est évidemment défavorable, car ils ne fonctionnent comme objets quantiques que près du zéro absolu.

Les pièges Penning, en revanche, ne présentent pas ces inconvénients. Les chercheurs espèrent maintenant que les nouveaux pièges de Penning microfabriqués permettront de capturer des ions non seulement dans des structures unidimensionnelles, mais aussi bidimensionnelles, et de les contr?ler avec moins de pertes. C'est ce que Carruth et d'autres membres de l'équipe doivent maintenant découvrir pour savoir si cela fonctionne réellement comme prévu. "Dans un premier temps, nous allons contr?ler deux ions dans un piège de Penning", estime-t-elle. "Ensuite, nous augmenterons le nombre de manière continue".

Un changement assez important

En fait, Carruth vient d'un tout autre coin de la physique. Pour sa thèse de doctorat à l'Université de Californie, Berkeley, cette Américaine d'origine a étudié ce qu'on appelle l'anti-hydrogène à l'expérience Alpha au Cern à Genève. "Avec notre groupe, nous avons pu enregistrer pour la première fois une analyse spectrale de l'anti-matière", rapporte-t-elle. "J'ai trouvé cela très excitant : savoir que ce que l'on est en train de voir est complètement nouveau".

Le passage à la physique quantique n'est pourtant pas tout à fait inattendu. Au Cern, elle a développé des techniques pour contr?ler les atomes anti-hydrogène dans des pièges cylindriques de Penning. C'est justement cette expérience qui l'aide aujourd'hui à prendre pied dans un tout autre domaine. C'était déjà un sacré changement lorsqu'elle est arrivée à l'ETH il y a un peu plus d'un an. "Au Cern, je travaillais dans une grande collaboration. Nous avions des plans d'équipes pour pouvoir faire des mesures 24 heures sur 24 et j'avais toujours une mission claire". Dans le groupe de Home, elle est beaucoup plus autonome et a plus de liberté. Mais ce qu'elle apprécie avant tout à l'ETH, c'est la diversité des expertises auxquelles elle peut faire appel. "Il y a beaucoup de gens intelligents ici", estime-t-elle.

La recherche de la vérité

Au début de ses études, elle n'aurait jamais imaginé qu'elle travaillerait un jour comme physicienne quantique. Au départ, elle voulait devenir violoniste professionnelle et a choisi la musique comme matière principale à l'Université du Michigan. Ce n'est que par curiosité qu'elle a décidé d'étudier la physique en parallèle. Lorsqu'elle a découvert les possibilités qui s'offraient à elle dans la recherche en physique, elle a décidé de changer de carrière et de devenir physicienne.

La violoniste continue néanmoins de s'adonner à sa passion. Elle joue avec l'orchestre symphonique de Zurich et, de temps en temps, elle fait de la musique de chambre avec d'autres chercheurs de l'ETH. Elle partage également son amour de la musique avec son tuteur Jonathan Home, qui joue également du violon à un haut niveau. Carruth voit de nombreux parallèles entre les deux disciplines : "Ici comme ailleurs, il faut aiguiser ses sens si l'on veut réussir", explique-t-elle. "Lors du programme musical des YMCG dirigé par Yo-Yo Ma, auquel Carruth a assisté en Chine en janvier dernier, le célèbre violoncelliste a parlé "de la recherche de la vérité dans la musique". Elle s'est sentie très concernée par cela : "En physique aussi, il s'agit de la recherche de la vérité - de ce qui constitue en fin de compte notre monde".

La physique quantique prend de l'importance

Rendre le monde de la physique quantique, mystérieux pour beaucoup de gens, plus accessible lui tient à c?ur. C'est pourquoi elle s'engage en parallèle dans la Quantum FutureX Initiative (QFX). Cette initiative en est encore à ses débuts. Des experts de différents domaines y collaborent afin de faire comprendre au public les bases de la physique quantique. "En physique quantique, il existe de nombreux effets intéressants qui ont également une pertinence pratique", explique-t-elle. "Et comme la physique quantique gagne en importance dans la vie quotidienne, il est important que les profanes en aient une idée". Elle est convaincue que de nombreux chefs d'entreprise devront à l'avenir se pencher sur ce domaine spécialisé. "Sinon, comment pourraient-ils prendre des décisions qui sont par exemple importantes pour la sécurité de leur entreprise ?" C'est précisément à cela qu'elle veut désormais contribuer en tant que WEF Young Scientist.

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